CHRONIQUES
Charlotte Perriand 31/08/2021
une architecte française au Japon (1940-1942)
éd. du Chêne / Arte
Parution : octobre 2019 - 112 pages couleurs
19 x 26 cm - Prix : 19,90 €
A l'occasion de la venue de Charles Berberian au Festival BD de Solliès dans le Var fin août 2021, nous vous proposons de revenir sur l'un de ses derniers ouvrages, Charlotte Perriand – une architecte française au Japon (1940-1942), paru en 2019 aux éd. du Chêne en co-édition avec Arte à l'occasion de l'exposition qui a été consacrée à cette artiste à Paris la même année.
Comme son sous-titre l'indique, la bande dessinée de Charles Berberian est centrée sur le premier voyage de Charlotte Perriand au Japon au début des années 40, juste avant que l'empire oriental n'entre en guerre.
Retour sur le parcours d'une femme hors-norme, designeuse et architecte, collaboratrice du Corbusier, notamment pour la Cité radieuse à Marseille.


Charlotte Perriand

Une femme libre
Née en 1903 et décédée en 1999, Charlotte Perriand a traversé tout le XXè siècle en femme libre, artiste engagée et indépendante.
Après des études en Arts décoratifs, elle collabore avec l'architecte Le Corbusier au sein de son atelier de Sèvres à partir de 1927, alors qu'elle n'a que 24 ans, après avoir été remarquée pour son « Bar sous le toit » la même année au Salon d'Automne à Paris, un meuble qu'elle avait réalisé pour recevoir ses amis dans son tout petit appartement – sous les toits justement !
Pendant dix ans, avec Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret, elle a signé de nombreux meubles et aménagements intérieurs, jusqu'à décider de voler de ses propres ailes.
Entre 1940 et 1942, elle effectue un premier séjour au Japon en tant que conseillère pour l'art industriel auprès du Ministère japonais du Commerce extérieur, et ce sur invitation de Junzô Sakura, un de ses anciens collègues à Sèvres avec Le Corbusier. Elle y découvrira des matériaux traditionnels (notamment le bambou) et s'attachera à faire rimer tradition et modernité.
En décembre 1941, au moment de l'entrée en guerre du Japon aux côtés de l'Allemagne et de l'Italie, elle quitte l'archipel pour se réfugier à Hanoï où elle restera jusqu'à la fin de la Guerre, en 1946. Pendant cette période, elle donnera naissance en 1944 à une fille, Pernette, qui sera à ses côtés plus tard pour l'aider dans ses travaux, notamment la station de ski des Arcs dans les années 70.
De retour en France, elle travaillera pour la création de la station de sports d'hiver Méribel et concevra la plupart du mobilier pour la Cité radieuse du Corbusier inaugurée à Marseille en 1952. Elle contribuera grandement à la modernité de ce lieu en dessinant des meubles, particulièrement pour la cuisine, avec un souci fonctionnel en plus d'être esthétique.
Elle continuera sa carrière en travaillant en France, mais aussi de par le monde, comme au Brésil ou au Japon où elle effectuera un second voyage en 1954-55.
Alors que son dernier grand ouvrage consiste à concevoir la station Les Arcs en Savoie dans les années 70, une première rétrospective consacre son travail en 1983. En 1993, elle dessine également la Maison de thé, dans les Jardins de l'Unesco à Paris, en souvenir de ses voyages au Japon.
Elle s'éteint en 1999 après avoir publié l'année précédente son autobiographie, Une vie de création, et ce trois jours après avoir fêté ses 96 ans.



Une biographie
en bande dessinée
Sous-titrée « une architecte française au Japon (1940-1942) », la bande dessinée que Charles Berberian a consacré à Charlotte Perriand présente donc le premier séjour de l'artiste au Japon.
Alors que la France vient d'entrer en Guerre, Charlotte Perriand abandonne le Vieux continent pour regagner le Japon où elle est invitée par un ancien collègue à l'époque où elle travaillait avec Le Corbusier et futur architecte moderniste, Junzô Sakura, en tant que conseillère auprès du Ministère du Commerce extérieur japonais pour aider à concevoir des meubles et objets usuels qui pourraient plaire au public occidental.
Après être partie de Marseille en cargo et après plus de deux mois de traversée, pendant laquelle elle lit L'Art du thé un classique de la littérature japonaise, Charlotte Perriand débarque à Kobé puis regagne Tokyo, où elle enchaîne rencontres avec étudiants en design et officiels japonais.
Femme indépendante, elle va très vite se heurter aux opinions « passéïstes » des officiels et faussement « modernistes » à l'occidentale des étudiants.

Découvrant la culture japonaise grâce à son ami Junzô (la gastronomie notamment, mais aussi l'artisanat traditionnel), elle va tenter d'allier le savoir-faire ancestral nippon à une certaine modernité, tout en cherchant l'épure plus par intérêt fonctionnel que réellement esthétique.
Après un travail acharné, elle présente une exposition intitulée « Sélection, tradition et création » qui sera, malgré les réticences du départ, un réel succès.
Coincée au Japon fin 1941, à l'entrée en Guerre de l'Empire aux côtés de l'Allemagne et de l'Italie, elle arrivera finalement à regagner Hanoï en 1942, où elle restera jusqu'en 1946.
« je crois que c'est Lao-Tsen qui disait : l'utilité d'une cruche réside dans le vide où l'on peut mettre l'eau, et non dans sa forme ni dans sa matière »
Une page extraite de Charlotte Perriand par Charles Berberian
Une page extraite de Charlotte Perriand par Charles Berberian
Un moment charnière
Née d'une commande à l'occasion de l'exposition Charlotte Perriand à la Fondation Vuitton fin 2019, Charles Berberian, après s'être abondamment documenté et plutôt que de retracer toute la vie de l'artiste, a choisi de consacrer sa bande dessinée à ce moment charnière pour l'œuvre de Charlotte Perriand, artiste qui a découvert au Japon une culture qui bien que différente lui rappelait en de nombreux aspects son enfance, que ce soient les montagnes japonaises ou l'artisanat de l'archipel. Sans oublier un savoir-faire qui va lui permettre de découvrir de nouveaux matériaux comme le papier de riz, mais aussi et surtout le bambou avec lequel elle va réaliser de nombreux meubles.
S'inspirant également de la culture orientale, comme le cérémonial du thé, elle va adopter l'épure des aménagements japonais qui, bien souvent, ne comprennent qu'un tatami et un futon ainsi qu'une table basse, lui confirmant ainsi son intuition déjà prégnante avant ce voyage que le fonctionnel doit primer sur le décoratif.

Graphiquement, on a plaisir à retrouver le trait élégant de Charles Berberian, parfaitement adapté à la pureté des lignes des architectures nippones et des créations de Charlotte Perriand.
Charles Berberian agrémente ses compositions de trouvailles graphiques, comme ces vues extérieures « dessinées » directement à l'aquarelle
Il faut dire que Charles Berberian connaît bien cette période des années 30-40, déjà illustrée dans son magnifique livre sérigraphié Les Montparnos co-signé avec Philippe Dupuy, sur les artistes de l'Entre-deux Guerres basés à Paris dans le quartier de Montparnasse avec des grands noms comme Modigliani, Foujita, Zadkine et bien sûr Picasso.
Une page extraite de Charlotte Perriand par Charles Berberian


L'ombre du Corbusier

Même s'il n'apparaît physiquement qu'au début de l'ouvrage pour culpabiliser Charlotte Perriand de partir et de « l'abandonner » (l'histoire ne dira jamais si les deux artistes ont eu une relation sentimentale, mais assurément au moins une collaboration professionnelle et artistique très intense), Le Corbusier est constamment présent dans le travail de Charlotte Perriand et donc dans l'ouvrage de Charles Berberian où il est représenté sous la forme allégorique d'un corbeau immédiatement reconnaissable grâce au talent graphique de l'auteur qu'il agrémente seulement d'une paire de lunettes rondes et d'un nœud papillon.
Figure incontournable à l'emprise tentaculaire, Le Corbusier aurait aussi chercher à s'accaparer les créations de Charlotte Perriand en gommant son nom des meubles qu'elle a créés pour lui. Il n'en sera finalement rien, certains meubles étant réédités dans les années 50-60 sous la triple signature du Corbusier, de son cousin Pierre Jeanneret et donc de Charlotte Perriand.



Entretien avec Pernette Perriand
L'histoire d'une soixantaine de pages est complétée par un entretien passionnant entre Charles Berberian et la fille de Charlotte Perriand, Pernette, qui a suivi sa mère à 10 ans lors de son second séjour au Japon en 1954-55 et collaboré avec elle dans les années 70 (notamment pour la station de ski des Arcs en Savoie), un entretien qui contribue à nous éclairer sur le parcours de cette femme étonnante et talentueuse.
Notons le passage attachant entre Charles Berberian, accumulateur compulsif de livres, de disques et autres objets plus ou moins culturels et Pernette, et donc aussi Charlotte Perriand, convaincues toutes deux du fait qu'il fallait « vider l'espace [de vie] le plus possible [...] pour que le corps puisse se mouvoir sans se cogner ».
L'entretien est accompagné de croquis de travail de Charles Berberian sur les personnages secondaires de sa bande dessinée et les différents meubles conçus par Charlotte Perriand.

Cette évocation biographique d'une femme étonnante, d'autant plus qu'elle évoluait dans un monde et milieu très masculin, est une lecture tellement passionnante qu'on aurait voulu voir Charles Berberian s'emparer du reste de la vie de Charlotte Perriand. Un second volume pourquoi pas...

Photo célèbre de Charlotte Perriand revisitée par Charles Berberian


blabla

Biographie de Charles Berberian
Né en 1959 à Bagdad en Irak et élevé au Liban, Charles Berberian s'est très tôt intéressé à la culture populaire (le cinéma et la musique, deux arts auxquels il a consacré plusieurs livres), dont la Bande dessinée.
Après des études à Paris, il rencontre en 1983 son futur acolyte Philippe Dupuy. Il entame alors une première carrière en duo pendant laquelle les deux comparses vont donner naissance à de nombreux ouvrages à l'humour toujours emprunt d'une certaine classe « british » dont le parangon est la série des Monsieur Jean. Ils connaîtront également le succès avec le personnage d'Henriette qui, avant d'avoir connu une deuxième vie auprès des lecteurs de Je Bouquine, avait été créé au départ dans le magazine d'humour pour adultes Fluide Glacial, mensuel qui accueillera également leur toute dernière création en duo, Bienvenue à Boboland, deux albums parus en 2008 et 2009 en forme de critique cinglante de la gentrification parisienne, notamment du quartier du canal Saint-Martin.
Un travail à quatre mains couronné par le Grand prix de la ville d'Angoulême en 2008.
Emprunt d'un dessin à la fois personnel et en même temps adoptant le renouveau d'une sorte de classicisme (la ligne claire des années 80 avec Chaland et consorts), le duo réalise de nombreuses campagnes publicitaires et affiches de cinéma, dont la plupart sont recueillis dans l'excellent Tout l'univers de Dupuy-Berberian paru aux éd. Panama en 2006.
Au mitan des années 2000, Charles Berberian signe son premier ouvrage solo Playlist en 2004 aux éditions Naïve et qui a connu en 2019 une superbe réédition augmentée « Deluxe » chez Hélium. Suivront de nombreux autres ouvrages mêlant autobiographie, carnet de croquis et fiction pure.
En 2021, il a fait paraître également Les Amants de Shamhat – La véritable histoire de Gilgamesh aux éditions Futuropolis (en co-édition avec Le Louvre), alors qu'en 2022 devrait sortir le premier titre d'une nouvelle collection entre comics et carnets de croquis aux toutes nouvelles éditions Exemplaire initiées par Lisa Mandel.
Passionné de musique, il écrit et interprète depuis quelques années ses propres compositions. Après plusieurs collaborations (notamment avec l'auteur de BD JC Denis au sein de Nightbuzz), il a enregistré en 2019 son premier disque en solo, Tout pour le mieux (Zamora poductions).



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