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Old de M. Night Shyamalan
ou Pourquoi la BD n'a rien à envier au cinéma
d'après la Bande dessinée Le Château de sable
de Pierre-Oscar Lévy et Frédérik Peeters (éd Atrabile)
Avec Gael García Bernal, Vicky Krieps, Rufus Sewell
durée : 1h48mn – sortie française : 21 juillet 2021
Annoncé comme un des succès de l'été 2021, et alors que vient d'être présenté à Cannes le nouveau film de Jacques Audiard, Olympiades, inspiré des nouvelles graphiques de l'américain Adrian Tomine, le nouveau film de M. Night Shyamalan, lui aussi adapté d'une Bande dessinée signée cette fois-ci par deux auteurs suisses, attisait la curiosité de nombreux lecteurs et spectateurs. Malheureusement, c'est un ratage complet !
Comme quoi, Bande dessinée et cinéma ne sont pas deux arts si facilement assimilables, et la BD n'est pas forcément le parent pauvre de ces mariages de fortune.
M. Night Shyamalan, un cinéaste fan de Bande dessinée
Révélé au grand public en 1999 avec son troisième film, Sixième sens, mettant en vedette, dans cette attachante chronique d'un psychologue pour enfants au contact d'un jeune garçon qui prétend dialoguer avec des personnes mortes mais coincées parmi les vivants, un Bruce Willis dans une veine plus sensible que ses nombreux rôles virils d'alors, et dont le twist final a bouleversé nombre de spectateurs (dont je fais partie, j'avoue !), ce réalisateur américain d'origine indienne avait montré dès son film suivant sa passion pour la BD.
En effet, Incassable sorti en 2000 (où on retrouvait un Bruce Willis dans une version plus « héroïque », même si son personnage représente plutôt un héros du quotidien, sans véritable costume, ni réel super-pouvoirs) revisitait la figure du super-héros, le personnage principal se rendant compte, à l'occasion de l'accident du train dans lequel il se trouvait et dont il sort seul rescapé, qu'il était invincible (ou indestructible, comme le dit le titre québécois !), et ce deux ans avant le Spiderman de Sam Raimi qui a relancé la vogue des super-héros au cinéma (après les Superman de Richard Donner des années 70-80 et le premier Batman de Burton de 1989), devenu presqu'un genre cinématographique à part entière depuis.
Le parallèle était un peu trop évident puisque le deuxième personnage principal, joué par Samuel L. Jackson, n'est autre qu'un collectionneur de comics souffrant d'une maladie rare des os (la maladie dite des « os de verre »). Je ne vous révélerai pas ici la fin pourtant moins surprenante que celle de Sixième sens, mais sachez que dans tout (bon) récit de super-héros, il faut un vilain à la hauteur !
Après Signes sorti en 2002 avec Mel Gibson, M. Night Shyamalan réalise un sixième film, Le Village sorti en 2004, mettant en scène un casting impressionnant (William Hurt, Sigourney Weaver, Joaquin Phoenix, Adrian Brody,...), qui, alors qu'il recèle quelques belles scènes, marque le déclin de son succès public. M. Night Shyamalan a continué dès lors une carrière plus modeste de réalisateur de films fantastiques plus ou moins personnels (et même un dessin animé, en 2010, avec Le Dernier maître de l'air, d'après une série animée télévisée).
Ses deux derniers films sur grand écran, un peu trop caricaturaux voire poussifs, Split (2016) et Glass (2019), formant une trilogie avec Incassable, revenaient sur le thème des super-héros, en choisissant, pour Split notamment, clairement d'illustrer le côté des vilains puisqu'il y met en scène un personnage renfermant des personnalités multiples. Split a marqué le retour de Shyamalan à un certain succès public, un film qui pourtant, si il n'est pas déplaisant à regarder, m'a semblé à de nombreuses reprises être pour le réalisateur surtout un prétexte à montrer des jeunes femmes en petite tenue séquestrées par un sadique aux obsessions pas forcément sexuelles.
[ Une adaptation de la bande dessinée Château de sable ]
Quand nous avons appris, il y a quelques mois, que M. Night Shyamalan s'apprêtait à sortir un nouveau film, en s'inspirant d'une BD, européenne cette fois-ci, l'attente était légitimement grande, même si il était entendu que le résultat pouvait être grandiose, comme inintéressant...
La petite histoire veut que le cinéaste ait reçu la bande dessinée Château de sable de Pierre-Oscar Lévy et Frédérik Peeters, paru chez Atrabile en 2010, en cadeau à la fête des pères et décidé de l'adapter aussitôt. Malheureusement malgré le talent certain de M. Night Shyamalan en tant que raconteur d'histoires, on ne peut pas dire qu'il a réussi son adaptation de cette bande dessinée, et ce bien qu'il reste fidèle à la trame générale, à savoir plusieurs personnages sur une plage paradisiaque qui voient le temps et donc leur vieillissement s'accélérer.
Certes, même s'il avait annoncé avoir choisi de faire un récit plus clairement fantastique que la BD, il aurait pu essayer d'en conserver l'ambiguïté.
Tout d'abord, le titre choisi pour l'adaptation sur grand écran, Old, est beaucoup moins subtil que celui de Château de sable (même si deux scènes, une au début et une autre vers la fin, sont des clins d'œil à la figure du château de sable). Et ne parlons même pas de l'affiche (un personnage féminin assis sur une plage dont la moitié du corps est un squelette) qui vaut quasiment pour bande-annonce !
Si le ton est plus horrifique que la BD, il n'est pas pour autant réellement angoissant, ni non plus assez outrancier pour être pris au second degré. Et que dire de la fin qui évacue toute ambiguïté avec beaucoup trop d'explications et un happy end invraisemblable...
Alors que la BD, malgré le sujet de l'accélération du temps, prend le temps de présenter tous les personnages et la situation en forme de conte philosophico-fantastique, c'est surtout le rythme du film, beaucoup trop rapide et plus haché que l'œuvre originale qui déconcerte et empêche de croire aux personnages et au récit !
Extrait de Quai d'Orsay
BD et cinéma, une question de rythme ?
Cette histoire de rythme fait penser à une autre adaptation ratée au cinéma d'une BD, dans un tout autre genre qu'Old et Château de sable, avec Quai d'Orsay de Christophe Blain d'après les souvenirs d'Abel Lanzac (tout du moins c'est le pseudonyme qu'il s'est choisi) deux albums drôles et inventifs sur le parcours d'un jeune conseiller au Quai d'Orsay (période De Villepin), et adapté en 2013 par Bertrand Tavernier avec Thierry Lhermitte dans le rôle du ministre fictif Alexandre Taillard de Worms. Là aussi, même si le film respectait assez fidèlement la trame (voire le ton) de la BD, le rythme en était complètement différent.
Autant la BD développait une vivacité, à l'instar de son personnage principal, un ministre virevoltant dont les saillies verbales étaient accompagnées de grandes gestuelles parsemées de citations du philosophe grec Héraclite, autant le film souffrait d'une lenteur rarement ressentie dans un film qui raconte, au contraire, la frénésie et l'urgence des prises de décisions diplomatiques en temps de crise (ici une transposition de la deuxième guerre en Irak de 2003).
Certes, le problème est plutôt l'inverse dans Old, qui bien que traitant d'un sujet sur l'accélération du temps n'en montre que de façon brouillonne sa rapidité en empilant les séquences, sans que le spectateur n'ait le temps de s'attacher aux personnages et se familiariser avec l'environnement de l'histoire.
Ne serait-ce que ces deux adaptations ratées au cinéma de deux BD plutôt très réussies nous font dire que la bande dessinée n'a pas spécialement à rougir du cinéma !
Quant à savoir si il y a de bonnes adaptations de BD au cinéma, on pourra en reparler...
Du côté des classiques
Il y a quelques années, j'avais eu la chance de voir au Musée de la Bande dessinée à Angoulême une planche de Tintin (extraite du Crabe aux pinces d'or, dont la version N&B est paru en 1940-41 et la version couleurs en 1944) dans laquelle le reporter en pantalons de golf cherche le Karaboudjan, et qui présentait un enchaînement de cases, très similaire à une séquence des Oiseaux d'Hitchcock.
Dans le film d'Hitchcock sorti en 1963, un plan montre un ou deux corbeaux noirs sur la structure métallique d'un jeu d'enfants. Tippi Hedren tourne alors la tête dans un sens, puis dans l'autre, la caméra faisant des allers-retours entre le personnage et les corbeaux sur le jeu d'enfants qui, au bout de quelques secondes seulement, sont tellement nombreux qu'ils occupent presque tout le cadre !
Sans effets spéciaux, mais bel et bien avec seulement un effet de montage, la tension est installée.
Mais me direz-vous n'est pas Hergé, ni Hitchcock qui veut.


Bien que l'adaptation de Château de sable par M. Night Shyamalan soit ratée, on peut se consoler en se disant qu'il est toujours bon d'attirer médiatiquement l'attention sur le Neuvième art qui souffre enocre aujourd'hui d'un manque de considération vis-à-vis d'arts considérés plus nobles, comme peut l'être le cinéma.
On croise les doigts pour que le film Olympiades de Jacques Audiard, présenté récemment à Cannes et qui devrait sortir en novembre prochain, inspiré des nouvelles graphiques de l'auteur américain Adrian Tomine, soit beaucoup plus réussi que celui de Shyamalan !

Affiche d'Olympiades de Jacques Audiard
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