Festival Oh les beaux jours ! 21/07/2021
« Frictions littéraires à Marseille » -
5ème édition du 12 au 18 juillet 2021
Initialement prévu en mai dernier et déjà annulé l'an passé, le festival littéraire marseillais « Oh les beaux jours ! »
a tenu sa cinquième édition à la mi-juillet pendant près d'une semaine, riche en rencontres et spectacles autour de la littérature au sens large,
où la BD avait toute sa place (notamment des rencontres avec Lisa Mandel, Jean-Yves Duhoo ou encore Lamia Ziadé et des lectures musicales pour
jeunes avec Les Petits Marsus de Benjamin Chaud et Mari Moto de Dorothée de Monfreid, et moins jeunes avec Le Fantôme d'Odessa de Camille de Toledo
et Alexander Pavlenko).
Ainsi, des grands noms de la littérature étrangère (Nancy Huston, Jonathan Coe,…) ou française (Eric Reinhardt, Valérie Zenatti, Maylis
de Kerangal,...) étaient au programme, mais aussi des comédiens et musiciens (Keren Ann, Irène Jacob, Angélique Kidjo, Oxmo Puccino,...),
puisqu'une des particularités de ce festival est de proposer une version vivante de la littérature avec des rencontres, ainsi que des spectacles
autour de textes littéraires (lectures musicales essentiellement), le tout dans les plus beaux lieux de Marseille (le Mucem, le Fort St jean,
la Vieille Charité, le Port antique, le Conservatoire Pierre Barbizet,...)
Retour sur une semaine enthousiasmante !
Un festival littéraire atypique
Initié il y a 4 ans, le festival « Oh les beaux jours ! », baptisé ainsi d'après le titre d'une pièce de Samuel Beckett, est la seule manifestation
littéraire d'envergure à Marseille (mis à part peut-être le festival automnal Actoral) qui, depuis ses débuts, fait la promotion d'une approche
vivante de la littérature en proposant des rencontres avec des auteurs (selon une thématique, ou lors de « grands entretiens » retraçant toute
l'œuvre d'un auteur) et des spectacles mettant en scène des textes littéraires (lectures musicales et/ou dessinées, voire agrémentées de projections).
De plus, le programme mêle grands noms et auteurs plus confidentiels, même si ils sont publiés au sein de maisons d'édition bien établies. D'ailleurs,
c'est peut-être le seul bémol du festival : on peut regretter en effet l'absence d'éditeurs alternatifs, ainsi que des auteurs et éditeurs marseillais.
Ancré dans la cité phocéenne, le festival « Oh les beaux jours ! » bénéficie d'un cadre magnifique, investissant nombre de lieux emblématiques
de Marseille (le Fort St Jean et le Mucem, la Vieille Charité, la cour du Conservatoire Pierre Barbizet, le Port antique,...) avec maints événements
gratuits (toutes les rencontres et certaines performances), ainsi que quelques spectacles payants.
Retour en grande forme pour cette édition 2021 !
Après l'annulation de l'année dernière et prévue au départ la dernière semaine de mai, l'édition 2021 a été reportée en juillet, du 12 au 18
juillet, avec en ouverture le lundi 12 une soirée musicale mettant en vedette la chanteuse Angélique Kidjo qui a mêlé lecture de textes extraits
de son livre d'entretiens paru récemment au Seuil et morceaux musicaux, suivi le lendemain, le mardi 13, par un spectacle musical jeune public
autour de la figure de Sinbad au Parc de la Maison-Blanche, derrière le Vélodrome.
Mais les festivités n'ont réellement commencé que le jeudi 15 pour une montée en puissance les vendredi 16, samedi 17 et dimanche 18 !
Affiche de l'édition 2021 du festival « Oh les beaux jours ! »
Des rencontres stimulantes et des spectacles diversifiés
De nombreuses rencontres ont émaillé cette semaine littéraire, qu'elles soient thématiques (autour du cerveau, de la psychiatrie, des nouveaux
féminismes,... ainsi que plusieurs rencontres à propos de la Méditerranée comme celles centrées sur les villes de Beyrouth ou encore Istanbul)
ou consacrées à un seul auteur, « Les grands entretiens » (cette année, Jonathan Coe, Nancy Huston et Valérie Zenatti).
Des lectures, musicales voire dessinées, étaient également programmées cette année.
Ainsi, le musicien Florent Marchet pour présenter son premier roman,
Le Monde du vivant, s'est associé au jeune dessinateur Elliott Royer,
la lecture de
Trésor National, roman de la turque Sedef Ecer, a été accompagnée de chants traditionnels interprétés par la chanteuse
Gülay Hacer Toruk, tout comme celle des extraits du pavé de plus de 2000 pages
Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui d'Arthur Dreyfus
s'accompagnant lui-même au piano et au chant, alors que
Suzanne et Louise, texte d'Hervé Guibert lu par le cinéaste Xavier Legrand était
enrichi de la projection des photos de ces deux femmes, tantes du romancier décédé en 1991. Mais aussi des formes plus diverses que la lecture
ont été également expérimentées comme avec « Le procès du siècle : La forêt amazonienne », un spectacle participatif organisé par la philosophe Joëlle Zask.
Côté spectacles payants, le plus souvent en soirée, là aussi la part belle a été faite à des lectures musicales, voire légèrement théâtralisées :
Angélique Kidjo en ouverture le 12 au Mucem ; le spectacle « L'Appel d'Alexandrie », avec entre autres Maylis de Kerangal, sur le phénomène migratoire
dans le bassin méditerranéen, suivi d'une lecture autour de
Thésée, sa vie nouvelle, roman de Camille de Toledo, finaliste pour le dernier
Goncourt ; Oxmo Puccino qui a mis en sons son premier roman,
Les Réveilleurs de soleil ; ou encore un « concert littéraire » autour de Lou Reed
par Fred Nevché et French 79.
Sans oublier, une grande soirée « débats, performances, concerts, DJ set » le samedi soir baptisée
Réapprendre à vivre ensemble avec entre
autres Chloé Delaume, Serge Lehman, Géraldine Mosna-Savoye, et la soirée finale du dimanche avec une lecture musicale du roman
Comédies françaises
d'Eric Reinhardt suivi d'
Où es-tu ?, une correspondance musicale et littéraire initiée pendant le premier confinement entre la chanteuse
Keren Ann et la comédienne Irène Jacob.
Jonathan Coe au festival Oh les beaux jours - © Nicolas Serve
La Bande dessinée, ou les littératures graphiques au sens large, n'ont pas été en reste, et on remercie vivement l'équipe du festival « Oh les
beaux jours ! » de l'avoir intégré à leur programmation.
Ainsi, on pouvait assister pour les plus jeunes à deux performances musicales : l'une autour de la série de livres illustrés du talentueux
Benjamin Chaud « les Petits Marsus », cinq tomes parus chez Little Urban revisitant le personnage créé par Franquin à destination du très jeune
public, performance réalisée en compagnie du musicien Gildas Etevenard qui a assuré la musique et les bruitages de ce concert dessiné, le samedi
en matinée ; l'autre lecture musicale pour les jeunes lecteurs a eu lieu le dimanche après-midi dans la cour ensoleillée de la Vieille Charité
d'après le dernier ouvrage de Dorothée de Monfreid, entre roman jeunesse et BD, paru au Seuil en avril dernier,
Mari Moto, l'histoire
d'une fillette de 10 ans qui emprunte la moto de sa grand-mère pour aller chercher les secours et sauver ainsi sa famille pris dans un ouragan.
Pour les plus grands, on aura pu assister à une lecture musicale assurée par Camille de Toledo, accompagné des musiciens Cléo T. et Valentin
Mussou, autour du deuxième roman graphique de ce cinéaste et romancier,
Le Fantôme d'Odessa, évocation biographique de l'écrivain russe
Isaac Babel, paru chez Actes Sud en mai 2021, avec Alexander Pavlenko au dessin.
L'illustrateur Benjamin Chaud et le musicien Gildas Etevenard au festival Oh les beaux jours - © Nicolas Serve
Comme nous n'avons malheureusement pas pu assister à ces représentations, nous nous attarderons donc plutôt sur les quatre rencontres auxquelles
ont participé des illustrateurs et auteurs de BD, à savoir celle du jeudi après-midi au Conservatoire Pierre Barbizet centrée sur les mondes
fantastiques de Rebecca Dautremer, qui est plutôt une illustratrice jeunesse mais dont le dernier ouvrage, une adaptation des
Souris et des hommes
de Steinbeck, s'apparente à de la Bande dessinée ; celle de la très intéressante dessinatrice franco-libanaise Lamia Ziadé avec l'écrivain libanais
Camille Ammoun à propos de leurs ouvrages autour du Liban, et surtout du récent drame qui a bouleversé cette ville, à savoir l'explosion l'an passé
d'un stock de nitrate sur le port de Beyrouth ; et surtout les deux rencontres auxquelles nous avons assisté, « A la folie » mettant en parallèle
le travail de l'autrice de BD marseillaise Lisa Mandel et de la romancière et journaliste Joy Sorman autour des hôpitaux psychiatriques et,
dans un registre plus scientifique, mais à la thématique pas si éloignée, celle entre le neurologue Lionel Naccache et l'auteur de BD Jean-Yves Duhoo
autour de
Mister cerveau, sa dernière BD consacrée aux recherches scientifiques sur le cerveau.
Couverture de Mon port de Beyrouth de Lamia Ziadé - © Ziadé / P.O.L.
Lisa Mandel + Joy Sorman = A la folie !
Le samedi en fin d'après-midi, alors que la canicule battait son plein, nous avons pu assister dans la magnifique cour ombragée du Conservatoire
Pierre Barbizet, en bas du Cours Julien, à la rencontre entre Joy Sorman, qui s'est immergée pendant un an à raison d'une journée par semaine dans
un hôpital psychiatrique afin de rendre compte de son expérience, aussi bien du côté des patients que des soignants, dans un livre justement intitulé
A la folie, et l'autrice de Bande dessinée Lisa Mandel qui, elle, a fait paraître à L'Association en 2009 et 2013
HP, un récit en
deux tomes sur l'histoire des hôpitaux psychiatriques en France. Comme elle l'a brillamment (et de façon très drôle) raconté au début de cette
rencontre, la mère de Lisa Mandel et une partie de sa famille et de son entourage ont travaillé dans des institutions psychiatriques à Marseille,
depuis la fin des années 60-70 jusqu'à nos jours.
Ce qui au départ était envisagé comme un recueil d'anecdotes insensées sur le milieu de la psychiatrie est vite devenu un historique à la fois
drôle et glaçant sur les hôpitaux psychiatriques en France.
Paru il y a quelques années, ces deux ouvrages seront complétés par le nouveau projet sur lequel planche actuellement Lisa Mandel qui,
après s'être attachée plutôt aux soignants, prépare un ouvrage sur des patients qui ont réussi à se sortir de leurs troubles psychiatriques,
ou tout du moins à vivre avec, et ce en utilisant des méthodes alternatives, bien souvent en dehors du système classique.
On peut découvrir sur
Instagram ce projet intitulé
Se rétablir
et qui devrait paraître en 2022 sur la toute nouvelle structure éditoriale Exemplaire, initiée justement par Lisa Mandel, à la suite de son
expérience d'auto-édition avec
Une année exemplaire, paru fin 2020.
La rencontre, menée par Yann Nicol, était très intéressante même s'il manquait peut-être une contextualisation plus approfondie du travail
de chacune des deux autrices sur le sujet concerné. Il manquait peut-être aussi plus d'interactions entre les deux intervenantes qui parlaient
à tour de rôle sans forcément croiser leurs regards à propos d'un sujet sur lequel elles ont toutes deux travaillé, avec des sensibilités différentes.
Malgré une certaine noirceur du sujet, l'humour de Lisa Mandel (sans pour autant jouer les clowns de service) a contribué à détendre l'atmosphère.
Lisa Mandel et Joy Sorman (de dos) au festival Oh les beaux jours - © Nicolas Serve
La deuxième rencontre à laquelle nous avons assisté était encore plus passionnante !
Dans la cour de la Vieille Charité, le dimanche matin à 11h alors qu'il faisait déjà chaud, nous avons eu le plaisir d'assister à la rencontre
entre le neurologue Lionel Naccache et l'auteur de Bande dessinée Jean-Yves Duhoo autour de sa dernière BD
Mister Cerveau paru au printemps 2020
chez Casterman.
Depuis quelques années déjà, Jean-Yves Duhoo s'est fait une spécialité de la BD didactique, notamment concernant les sciences. Il a ainsi réalisé
pendant plusieurs années de nombreux reportages en BD publiés dans le journal
Spirou dans lesquels il rendait compte du travail de laboratoires
scientifiques dans des domaines aussi variés que l'observation des fossiles ou la physique nucléaire, en passant par le fonctionnement de la mémoire,
se rendant toujours sur place pour réaliser ce qui sont de vrais reportages en BD avec un dessin et des explications aussi claires qu'amusantes, tout
en restant précises!
Ces courtes bandes dessinées passionnantes et très documentées ont été reprises dans un ouvrage
Dans le secret des labos paru en 2019
chez Dupuis, que nous vous invitons vivement à lire quelque soit votre âge !
L'auteur de BD Jean-Yves Duhoo et le neurologue Lionel Naccache au festival Oh les beaux jours - © Nicolas Serve
Son dernier ouvrage en date,
Mister Cerveau paru en 2021 chez Casterman et reprenant un peu la même méthode de travail, s'attache à faire le point
sur les connaissances scientifiques actuelles à propos de cet organe essentiel et passionnant qu'est le cerveau, et ce toujours avec beaucoup d'humour
et de simplicité (à ne pas confondre avec simplisme !)
C'est à cette occasion qu'il a rencontré le neurologue Lionel Naccache qui a d'ailleurs préfacé Mister Cerveau et par ailleurs lui-même
vulgarisateur (la chronique « Parlez-vous cerveau ? » sur France Inter avec sa femme, mais aussi plusieurs livres, dont un passionnant
Le cinéma intérieur).
Eloquent, tout en restant accessible et précis, le scientifique Lionel Naccache a emmené cette rencontre vers de vertigineuses réflexions
sur le cerveau, tempérées par les mises au point historique et parfois poétique de Jean-Yves Duhoo.
Ainsi, à propos des relations entre le cerveau et le dessin, Jean-Yves Duhoo en réponse à une question du public a révélé qu'il mimait plus
ou moins inconsciemment ce qu'il dessinait, comme si son corps devait réagir physiquement à une conception mentale. Il a également évoqué la période
de « rêvassement » (selon ses termes) nécessaire à la création artistique, voire à la réflexion scientifique ou même pour résoudre des problèmes
de la vie quotidienne, comme l'a complété Lionel Naccache. Le scientifique a lui notamment parlé de l'exemple des aveugles congénitaux dont une partie
du cerveau, qu'on pensait dévolue à la vision, pouvait réagir tout de même pour assumer d'autres fonctions que la vue, ce qui renvoie à la cartographie
sans cesse mise à jour du cerveau, organe complexe s'il en est !
La rencontre ayant été animée un peu maladroitement par Tewfik Hakem, pourtant connaisseur de la Bande dessinée régulièrement présente dans
son émission « Le Réveil matinal » sur France Culture, on peut regretter que les questions posées à Jean-Yves Duhoo n'aient pas été plus nombreuses,
notamment sur la genèse du projet, sa démarche et sa façon de travailler, mais il est vrai que Lionel Naccache est un vulgarisateur passionnant !
La rencontre, comme pour celle de Lisa Mandel et Joy Sorman, s'est continuée par une séance de dédicaces dans la librairie éphémère mais très
fournie présentant tous les ouvrages, ou presque, des auteurs présents pendant tout le festival.
Même si nous n'avons pu assister à la soirée finale dont la lecture d'Eric Reinhardt autour de son intéressant roman Comédies françaises sur les
débuts d'Internet, innovation technologique qui aurait pu voir le jour en France d'après ce qu'il nous en raconte, cette cuvée 2021 du festival
« Oh les beaux jours ! » a été tellement riche que nous avons d'ores et déjà pris rendez-vous pour l'année prochaine et la sixième édition qui
devrait avoir lieu fin mai 2022 !
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